REPÈRES ÉDUCATIFS

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actualités sur l'éducation


LES RÉFORMES MANAGÉRIALES MONDIALES DE L’EDUCATION ET LES ENSEIGNANT(E)S

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https://download.ei-ie.org/Docs/WebDepot/Global%20Managerial%20Education%20Reforms%20and%20Teachers.pdf
  • 01 Février 2016 - Mondes de l'Education 45 - Dévrier 2016

Nouvelles politiques, controverses et problèmes dans les pays en développement

Ce livre vise à comprendre, selon une perspective empirique, la nature, la portée et la dimension des nouvelles tendances mondiales en matière de réformes managériales de l’éducation et, plus précisément, leurs corrélations avec les enseignant(e)s. Tous les chapitres se basent sur la recherche originale et les données principales. Les différentes études de cas présentées ici analysent les réformes visant à introduire une évaluation des enseignant(e)s (Pérou) et de leurs responsabilités (Indonésie et Jamaïque), un programme scolaire basé sur les compétences (Turquie), les partenariats public-privé (Ouganda), les enseignant(e)s contractuel(le)s (Inde) et la décentralisation (Namibie). Elles étudient plus précisément la façon dont ces réformes transforment le travail des enseignant(e)s et dans quelle mesure ils/elles sont impliqué(e)s dans les processus politiques.
Au cours de ces dernières décennies, un mouvement mondial de réforme de l’éducation a transformé les systèmes éducatifs à travers le monde. La force de ce mouvement est telle que certains observateurs vont même jusqu’à parler de véritable « épidémie » de réformes éducatives (Levin, 1998 et Steiner-Khamsi, 2004). Il met en lumière un ensemble de solutions politiques de type commercial et managérial, présentées comme le moyen le plus efficace de résoudre les problèmes de l’éducation, anciens et nouveaux. Conséquence, le choix, la concurrence, les incitants et les responsabilités deviennent progressivement des principes politiques centraux dans le programme mondial pour l’éducation et les systèmes de restructuration du secteur, partout dans le monde. 
Les principaux objectifs des Réformes managériales mondiales de l’éducation - Global Managerial Education Reforms (GMER) - consistent à améliorer la compétitivité des pays en améliorant les résultats scolaires des étudiant(e)s, tout en renforçant, dans un même temps, l’efficacité des systèmes éducatifs. Quelques-unes des politiques les plus connues ayant été implantées dans le cadre des GMER concernent la gestion en milieu scolaire et les formes connexes de décentralisation, la responsabilisation, l’évaluation des enseignant(e)s, les programmes scolaires normalisés, la définition d’objectifs et les partenariats public-privé au sein de l’éducation. Les GMER tendent à modifier les conditions de travail et les responsabilités des enseignant(e)s, ainsi que la manière dont leur performance est évaluée et perçue par l’Etat et la société. 
Le chapitre introductif est structuré comme suit. Dans la première partie, nous présentons les caractéristiques essentielles des GMER, de même qu’une analyse des principales politiques majeures et des idées qui les sous-tendent. Nous examinons ensuite la façon dont ces politiques transforment les relations entre l’Etat et l’éducation, et pourquoi et comment elles sont diffusées et adoptées dans bon nombre de pays du monde. Dans la deuxième partie, nous étudions les principaux problèmes et controverses qu’entraîne ce type de réforme pour les enseignant(e)s. Plus précisément, nous mettons en lumière quelques-uns des principaux paradoxes qui entourent les GMER, en ce qui concerne la perception du travail des enseignant(e)s et l’objectif de le modifier. Dans la troisième et dernière partie, nous présentons la structure et le contenu du livre, en résumant les principales questions abordées.

PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DES REFORMES EDUCATIVES MONDIALES

Les réformes éducatives analysées ici impliquent une compréhension managériale approfondie des principaux problèmes que connaît l’éducation et de la façon dont les réformes éducatives devraient être implantées et les systèmes éducatifs organisés. L’un des objectifs des GMER consiste à renforcer les normes en matière de qualité de l’éducation, mais sans nécessairement investir davantage de ressources dans les systèmes d’éducation. Les GMER se concentrent en priorité sur les méthodes de gestion, de financement et de responsabilisation des écoles et insistent sur la façon dont les incitants conditionnels devraient être introduits dans le système éducatif pour récompenser ou sanctionner les différents acteurs en fonction de leur performance. Plus particulièrement, il s’agit de soutenir pleinement les idées prônant l’autonomie des écoles et de promouvoir la concurrence entre les établissements, au travers des tests normalisés et des interventions au niveau de la demande (chèques-études et autres types de subventions proportionnelles ou forfaitaires). En général, les GMER restent fortement tributaires des hypothèses et arguments émanant des théories économiques selon lesquelles les familles, la direction et les enseignant(e)s agissent comme des entités servant leurs intérêts propres, capables de maximiser les profits et ayant la possibilité de collecter et de partager les informations les plus pertinentes concernant la qualité des écoles. 
Il est intéressant d’observer que, si les promoteurs des GMER se donnent pour principal objectif d’améliorer les niveaux d’apprentissage de l’étudiant(e), leurs analyses et recommandations n’expliquent pas suffisamment comment et pourquoi les étudiant(e)s apprennent. En d’autres termes, leur but est de transformer l’éducation sans s’intéresser directement aux principes premiers de l’éducation : les processus enseignement-apprentissage.

Le nouveau rôle de l’Etat dans l’éducation : réformes néolibérales ou autre chose ?

Les spécialistes de l’éducation qualifient généralement les réformes de type managérial analysées dans ce livre de « néolibérales » (voir par exemple Hill, 2009). S’il existe plusieurs définitions concurrentes du néolibéralisme, nous estimons toutefois que cette étiquette néolibérale ne suffit pas pour appréhender dans son ensemble le type de phénomène qui nous occupe ici. Les réformes néolibérales sont surtout des réformes financières et concernent avant tout l’efficience (Carnoy, 1999). Cependant, la transformation managériale n’aboutit pas nécessairement à un système plus efficace que l’offre habituelle de services éducatifs. 
Les défenseurs des GMER se montrent enthousiastes à l’idée d’importer les règles du marché et de procéder par analogie lorsqu’il s’agit de promouvoir leurs politiques selon un schéma néolibéral, mais cela ne signifie pas pour autant qu’ils prônent une commercialisation/privatisation absolue de l’éducation, voire le retrait de l’Etat. En réalité, ce type de réforme requiert un Etat plus actif que jamais dans le domaine de l’éducation, même s’il doit endosser différents rôles. Par conséquent, selon les GMER, l’Etat ne doit pas assurer directement les services d’enseignement, mais se concentrer sur les réglementations et le financement des écoles - de préférence, selon une formule liée à la demande - ainsi que sur l’évaluation et le contrôle de la performance des écoles. Par ailleurs, comme le définissent bon nombre de politiques en matière de responsabilisation, l’Etat devrait rendre publiques les évaluations de la performance des écoles, et récompenser ou sanctionner les écoles en fonction de leur progrès.

Pourquoi mondialiser les réformes managériales ?

La mondialisation de l’approche managériale en matière de réformes éducatives découle, en grande partie, de la puissance à la fois matérielle et idéologique des organisations qui les soutiennent. Ces réformes comptent sur l’appui de leurs promoteurs permanents occupant des positions stratégiques au sein d’organisations internationales réticulaires très influentes telles que la Banque mondiale, pour ne citer que la plus importante. 
Le mouvement mondial pour la réforme de l’éducation profite du fait que les gouvernements, principalement dans les pays en développement, sont soumis à des pressions de plus en plus fortes dans le cadre de la réalisation des objectifs de l’Education pour tous (EPT). Toutefois, les pays riches n’échappent pas aux pressions internationales, notamment celles en lien avec les tests normalisés internationaux, les conditionnalités entourant les prêts, le cadre d’action de l’EPT, etc. Les gouvernements sont, en outre, de plus en plus nombreux à souhaiter expérimenter de nouveaux moyens innovants pour la prestation de leurs services éducatifs et à vouloir adopter de nouvelles approches managériales. 
 
ENSEIGNANT(E)S ET RÉFORMES ÉDUCATIVES MONDIALES 
Au sein d’une économie mondialisée, l’éducation, les compétences et les connaissances sont de plus en plus souvent perçues comme des atouts majeurs pour la compétitivité économique, et la plupart des pays et régions de la planète aspirent à devenir des « économies de la connaissance » (Gouvias, 2007). Dans le cadre de cette aspiration, l’éducation occupe une place toujours plus centrale dans les stratégies de développement des gouvernements et, plus spécifiquement, « il est demandé aux écoles et aux enseignantes et enseignants de travailler davantage qu’auparavant, mais aussi de façon différente » (Sahlberg, 2006, p. 283). De manière générale, la communauté internationale du développement accorde une attention accrue au rôle essentiel que jouent les enseignant(e)s dans l’offre d’une éducation de qualité pour tou(te)s (Leu, 2005). 
Les recherches en sciences sociales et, plus récemment, celles de l’Organisation de coopération et de développement économiques/Programme international pour le suivi des acquis des élèves montrent que, si l’on souhaite améliorer la qualité de l’éducation ou les résultats de l’apprentissage, la société se doit de garantir l’équité au sein des écoles et entre elles, tout en s’intéressant davantage aux facteurs sociaux, économiques et culturels ayant la plus grande incidence sur l’apprentissage de l’étudiant(e). Malheureusement, les partisan(e)s de la réforme managériale mondiale de l’éducation ont tendance à omettre l’importance de ces types d’éléments lorsqu’ils prescrivent des outils politiques spécifiques visant à améliorer l’apprentissage des étudiant(e)s (Verger et Bonal, 2012).

Principaux paradoxes au sein de la relation entre les GMER et les enseignant(e)s

Les réformateurs mondiaux de l’éducation adhèrent au consensus international concernant la performance des enseignant(e)s, considérée comme un facteur déterminant pour la qualité de l’éducation, en leur accordant très souvent une place centrale dans leurs idées et interventions politiques. Conçues dans le cadre du mouvement en faveur des GMER, ces interventions politiques ont le potentiel de transformer de différentes façons le travail des enseignant(e)s. L’évaluation des enseignant(e)s et les politiques de responsabilisation qui y sont associées ont pour objectif d’accroître la visibilité de leur travail aux yeux de l’Etat et de la société ; les politiques fondées sur le mérite visent à réguler les salaires des enseignant(e)s en fonction de leur performance ; les réformes normalisées définissent le contenu de l’enseignement et de l’apprentissage ; les partenariats public-privé favorisent la déréglementation du travail des enseignant(e)s ; tandis que la gestion en milieu scolaire renforce leur rôle, à la fois en tant que gestionnaires de l’école et, dans une certaine mesure, en tant que travailleurs/euses au service de la communauté.

Globalement, la façon dont sont perçu(e)s et traité(e)s les enseignant(e)s dans le cadre des GMER laisse souvent apparaître une multitude de paradoxes et de lacunes. Les plus manifestes d’entre eux sont expliqués ci-après.

Premier paradoxe - Les GMER ne cessent de souligner l’importance et le rôle essentiel des enseignant(e)s en ce qui concerne la qualité de l’éducation, tout en affaiblissant, dans un même temps, leur autonomie de trois façons différentes : a) leurs préférences ne sont pas suffisamment prises en compte dans les processus politiques, b) les enseignant(e)s sont perçu(e)s comme des biens devant être gérés et non pas comme des agents du changement, et c) leur autonomie est affaiblie face à l’Etat et aux familles des étudiant(e)s.

Deuxième paradoxe - Les réformes managériales requièrent davantage de responsabilités de la part des enseignant(e)s, alors que, d’autre part, elles prônent leur déprofessionnalisation. Les enseignant(e)s sont supposé(e)s en faire plus qu’auparavant et de façon différente, même en présence d’une dégradation de la qualité de leur préparation et de leurs conditions de travail.

Troisième paradoxe - Les GMER préconisent l’utilisation des preuves de façon « sélective ». D’un côté, elles promeuvent les réformes managériales même si les preuves de leur incidence sur les résultats d’apprentissage ne sont toujours pas concluantes (Bruns et al., 2011 ; Experton, 1999 ; Patrinos et al., 2009 ; Vegas, 2005). Mais, d’un autre côté, elles semblent ignorer que le niveau des résultats d’apprentissage est plus élevé dans les pays où leurs recommandations politiques demeurent marginales (ou ne sont pas encore mises en œuvre).

Quatrième et dernier paradoxe - les GMER confèrent aux enseignant(e)s et aux écoles de nouvelles responsabilités ainsi que des mandats plus complexes, mais sans se soucier de l’existence ou non des conditions matérielles et techniques nécessaire à leur mise en œuvre.

Dans l’ensemble, ce livre se veut ouvertement explicite quant aux limitations qu’entraîne le fait de baser les réformes de l’éducation sur une combinaison des principes managériaux et mercantiles défendus par les GMER. Plus spécifiquement, les principales questions auxquelles ce livre tente de répondre sont les suivantes :

  1. Comment les réformes mondiales de l’éducation sont-elles recontextualisées et mises en application en fonction des différentes situations ? Quels sont les institutions et les éléments médiateurs qui affectent la recontextualisation et la mise en application des GMER en présence de situations éducatives particulières ?

  2. Quelles sont les difficultés spécifiques associées à la mise en œuvre des politiques éducatives mondiales/managériales dans les contextes locaux. Plus précisément, comment sont-elles reçues par les enseignant(e)s et les acteurs locaux de l’éducation ? Dans quelle mesure les GMER sont-elles mises en œuvre ou rejetées par ces différentes parties prenantes ?

  3. Selon les acteurs clés de l’éducation impliqués dans les réformes, les GMER amènent-elles les résultats attendus ? Quels sont les principaux défis et opportunités de ce type de réformes lorsqu’il s’agit d’atteindre les résultats souhaités ?

  4. Dans quelle mesure les principales hypothèses et autres « théories d’action » entourant les GMER sont-elles étayées par des faits objectifs, une fois ces réformes mises en œuvre dans le cadre de pratiques éducatives spécifiques ?

Il convient toutefois de souligner qu’il ne s’agit pas d’un livre « anti-réformes ». Au contraire, nous pouvons espérer que les différents chapitres apporteront aux enseignant(e)s, aux professionnel(le)s, aux agences d’aide, ainsi qu’aux autres parties prenantes de l’éducation, plusieurs éléments de réponse leur permettant de réfléchir à des processus de transformation de l’éducation qui soient capables, d’une part, de mieux tenir compte des réalités et des problèmes prédominants au sein de leurs contextes éducatifs, et d’autre part, d’être plus participatifs et plus respectueux, en substance, des besoins des enseignant(e)s et de leurs identités.

Source: https://worldsofeducation.org/new/fr/magazines/articles/324

 


20/03/2017
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Les enseignant(e)s tracent leur propre chemin vers la définition du travail décent (13 mars 2017)

On dit souvent que deux chef(fe)s valent mieux qu’un/e, mais dans le cas des enseignant(e)s et des enseignantes toute la profession est disposée à déterminer ce que devrait être la politique future de l’emploi en matière d’éducation.

 

Pour la première fois depuis la fondation de l’Internationale de l’Education (IE) en 1993, les enseignant(e)s et les dirigeant(e)s syndicaux/ales entreprennent un effort collectif pour définir un tronc commun d’exigences et de propositions qui façonneront la profession enseignante du futur. Le résultat attendu de ces propositions et idées se concrétisera dans un document de politique qui sera préparé pour le 8e Congrès mondial en 2019 et dans la création d’une plateforme qui servira de centre d’information et de plaidoyer pour les enseignant(e)s du monde entier.

Plus de 60 participant(e)s venant de plus de 40 pays sont réunis à Bruxelles cette semaine dans un but de collaborer sur des thèmes relatifs aux conditions de travail de qualité des enseignant(e)s et des éducateurs/rices. Ces défis incluent le développement professionnel des enseignant(e)s, la déprofessionnalisation, la normalisation, le bien-être, les types de contrat ainsi que les échelles de salaire, l’assistance juridique pour les enseignant(e)s syndicalistes et le droit à la négociation collective. Ces propositions seront résumées dans un document rédigé par les enseignant(e)s pour les enseignant(e)s relatif à des actions de plaidoyer dans le monde entier.

David Edward, Secrétaire général adjoint de l’IE, a salué l’initiative comme un changement de « tactique » menée par les membres de l’équipe basée à Bruxelles, déclarant que « c’est l’une des choses les plus importantes que l’IE puisse entreprendre en vue de son prochain Congrès ». La qualifiant de « première étape dans un long  parcours » il a mis en exergue l’importance de défendre « notre profession  en construisant une force mondiale capable de faire pression sur les décideurs et décideuses, œuvrant pour ce qui est dans l’intérêt de nos sociétés et en partageant ce qui fonctionne pour les enseignantes et enseignants ».

L’événement s'est déroulé du 13 au 14 mars au cœur de Bruxelles.

 

Source: https://www.ei-ie.org/fr/news/news_details/4313

 


19/03/2017
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L’UNESCO adopte des normes internationales en faveur de la promotion de l’enseignement professionnel et de l’éducation des adultes (20 novembre 2015)

La 38e Session de la Conférence générale de l’UNESCO a adopté des normes révisées afin de promouvoir l’enseignement et la formation professionnels, l’éducation des adultes, ainsi que l’éducation physique et le sport.

 

Organisée à Paris, en France, du 3 au 18 novembre, la Conférence générale a adopté une Recommandation révisée concernant l’enseignement et la formation techniques et professionnels (EFTP). Le nouveau texte est axé sur l’apprentissage tout au long de la vie et sur l’acquisition, par tous les jeunes et les adultes, des connaissances, aptitudes et compétences nécessaires à leur vie professionnelle et personnelle. Cependant, la recommandation ne contient aucun engagement précis en matière de financement en vue de réaliser cet objectif.

Plutôt que d’inciter les gouvernements à investir dans l’EFTP, le nouveau texte appelle à mobiliser des sources de financement diversifiées et des mécanismes de financement innovants. Nul doute que cet effort entraînera la privatisation et la commercialisation de l’enseignement et la formation techniques et professionnels, les plaçant ainsi  hors de portée de millions de jeunes et d’adultes dans le besoin.

Si la recommandation révisée exhorte les gouvernements à élaborer des politiques et des cadres permettant de garantir de bonnes conditions de travail au profit d’un personnel qualifié et hautement compétent dans le domaine de l’EFTP, elle ne mentionne pas ou, tout du moins, n’évoque que vaguement le dialogue entre les professionnels de l’EFTP, leurs syndicats et les gouvernements, qui s’impose pourtant comme une nécessité pour atteindre ces objectifs.

Contribuant au débat autour de la Recommandation sur l’EFTP, le Coordinateur senior de l’IE Dennis Sinyolo a soutenu que la recommandation n’aboutirait aux résultats visés que si les gouvernements intégraient ses dispositions aux politiques, lois et plans nationaux en matière d’éducation et de formation et s’ils mobilisaient un budget adéquat en vue de sa mise en œuvre. 

« Dans la droite ligne des traités internationaux existants dans le domaine des droits humains, de l’Objectif de développement durable numéro 4 sur l’éducation et du Cadre d’action Education 2030, la gratuité de l’EFTP doit être garantie dans le secteur primaire et secondaire et s’instaurer progressivement dans l’enseignement supérieur », a rappelé Sinyolo aux gouvernements.

Il a poursuivi en exhortant les gouvernements à s’attaquer au niveau élevé de déprofessionnalisation et de précarisation dans le secteur de l’EFTP. « La tendance croissante à l’embauche des professionnels de l’EFTP dans le cadre de contrats de courte durée constitue une menace pour la qualité des programmes d’EFTP, et il convient de l’inverser de toute urgence », a-t-il affirmé.

Sinyolo a également appelé à la reconnaissance transfrontalière de l’EFTP et d’autres qualifications ainsi qu’à la prise de mesures concrètes par les gouvernements afin de protéger et promouvoir les libertés académiques et l’autonomie professionnelle et améliorer les conditions des professionnels de l’EFTP.  Et d’ajouter « Dans l’EFTP, les salaires et les conditions de travail du personnel devraient être attrayants et au moins équivalents à ceux des professionnelles et professionnels d’autres secteurs dotés de qualifications comparables. »

La Conférence générale a également permis d’adopter une Recommandation révisée sur l’apprentissage et l’éducation des adultes, réaffirmant le principe de l’apprentissage tout au long de la vie, de même qu’une Charte internationale de l’éducation physique et du sport, reconnaissant l’importance du sport pour le développement et la paix.

Enfin, les gouvernements ont également analysé la question de la mise en œuvre de la Recommandation de 1993 sur la reconnaissance des études et des titres de l’enseignement supérieur, ainsi que des instruments normatifs régionaux sur la reconnaissance transfrontalière des qualifications. La question des besoins des réfugié(e)s en matière d’éducation et de formation et la nécessité d’un mécanisme de validation et de reconnaissance de leurs qualifications ont elles aussi été abordées.

 

Source: https://www.ei-ie.org/fr/news/news_details/3802

 


19/03/2017
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BILINGUISME : DE LA FERMETURE À L’OUVERTURE SOCIALE

Louis Aurel MESSI

Consultant à Repères Educatifs

Master 1 en Relations Internationales

 

 

 « La langue est un petit membre et elle se vante de grandes choses…»[1]. Cet extrait tiré du nouveau testament de la Bible,  révèle l’immense richesse de la langue. Au-delà des fonctions que lui reconnaît JAKOBSON[2], la langue est plus qu’un simple outil de communication. Dans cette optique Michel SERRES estime que « Les langues sont un trésor et véhiculent autre chose que des mots. Leur fonction ne se limite pas au contact et à la communication. Elles constituent d’une part des marqueurs fondamentaux de l’identité, elles sont structurantes, d’autre part, de nos perspectives ».[3]Pour Blandine BRUYERE et Louisa MOUSSAOUI[4], « … La langue est objet d’attachement, elle est un espace d’appropriation symbolique …La langue n’est pas seulement un système de signes mis en œuvre mais aussi un mode de socialisation, une façon d’être et de comprendre le monde, un ensemble de pratiques à la fois individuelles et sociales ».La langue est donc un trait caractéristique d’une culture, un signe identitaire, elle traduit un profond sentiment d’appartenance à un groupe, à un peuple et la fierté d’appartenir à ce groupe. L’on sera donc fier de dire je suis Bassa, Ewondo ou Bamiléké[5].

 

I /     bilinguisme et fermeture des mondes

 

La langue est ce qui différencie les peuples et les cultures,  dévoilant en même temps toute la richesse et la beauté du monde. Ce qui justifie le fort attachement des peuples à leurs langues maternelles et la réticence à apprendre une nouvelle car apprendre une autre langue, c’est apprendre la culture inhérente à celle-ci, une autre façon de penser, de voir le monde ce qui n’est pas toujours évident surtout si l’on a passé l’âge où la plasticité cérébrale est à son plein essor (0-7 ans).Durant des années, la réticence à l’acquisition ou l’apprentissage d’une nouvelle langue a été marquée par le fait que le bilinguisme aurait des effets néfastes sur le développement cognitif de l’enfant. A ce sujet, Isaac Epstein dans son ouvrage intitulé La pensée et la polyglossie(1915) n’accepte le bilinguisme que sur le plan de la réception ; car s’il sied à l’homme cultivé de lire et de comprendre plusieurs langues ce qu’il appelle « polyglossie passive », il considère qu’une seule langue suffit pour exprimer sa pensée  qu’il appelle « monoglossie active » qui est la principale fonction du langage. Lors de la conférence internationale sur le bilinguisme tenue à Luxembourg en 1928[6], deux pédagogues belges Verheyen et Toussaint avaient soutenu que le bilinguisme pouvait avoir un effet négatif sur le développement intellectuel. Une telle conception du bilinguisme se justifie dans la mesure où ce mot a d’abord était utilisé avec une certaine fréquence dans le jargon des psychologues et pédagogues qui y voyaient un problème à résoudre, une plaie à enrayer[7].

Ce procès fait au bilinguisme est d’autant plus accru lorsque deux communautés différentes par la langue sont appelées à cohabiter sur un même territoire. En prenant le cas du Canada, pays dans lequel le français et l’anglais sont toutes deux des langues maternelles, la cohabitation de celles-ci a été le théâtre de luttes  identitaires[8]. En effet, bien que promu au niveau de l’Etat fédéral,  Rainier GRUTMAN démontre que cette politique du gouvernement rencontre une résistance farouche au Québec, province très majoritairement francophone où artistes et intellectuels dénoncent régulièrement le bilinguisme franco-anglais. Fernand OUELETTE[9], qualifie ce bilinguisme de « canal d’assimilation » et de « lavage de cerveau ». Gaston MIRON[10] quant à lui voulait « décoloniser »une langue française à ce point contaminée par l’anglais qu’elle est devenue un signe de déchéance culturelle. Cette rivalité linguistique s’explique par le paradigme de LAPIERRE (1988)[11].

 

Selon ce paradigme, lorsque deux communautés différentes par la langue, la culture  sont appelées à cohabiter sur un même territoire, trois situations sont susceptibles de se produire : soit il y a une construction de relation de communication réciproque, soit une relation de domination relative, soit une relation de domination absolue. Dans le premier cas, il y a coopération et intégration, ce qui conduit à des rapports égalitaires dans le processus d’assimilation réciproque. Il y a donc une interpénétration sociale et culturelle des deux communautés en présence. Dans le dernier cas, il y a une double suprématie de la langue dominante et le déclin de la langue issue de la communauté dominée. Il démontre que c’est le deuxième cas c'est-à-dire celui de la domination relative qui est source d’interaction mais aussi de conflits sociaux. Selon Camille EKOMO ENGOLO, ce cas favorise le développement de conflits latents ou ouverts fondées sur des malentendus et des frustrations. Diverses situations peuvent justifier cette domination relative : le géopolitique (en rapport avec l’étendue du territoire national), le démographique (relatif à la répartition de la population entre anglophones et francophones), le sociologique, notamment l’acquisition du progrès social, dans la distribution du capital social[12]. Ainsi, la répartition inégale des francophones (80%) et des anglophones (20%)  sur le territoire national suivi d’une mauvaise distribution du capital social, les régions du Sud et du Nord-ouest étant moins développées que les autres régions notamment celles du Centre et du Littoral, a suscité des velléités assimilationnistes des francophones au moment de la réunification des deux Cameroun  comme le souligne EYINGA[13] dans un texte historique « Le Cameroun français, quatre fois plus grand et trois fois plus peuplé que le Cameroun britannique, doit naturellement absorber les éléments de culture britannique qui ne sauraient s’opposer à la réunification de notre pays. Nous, francophones, avons l’avantage de l’étendue de notre portion de territoire et la majorité des populations (...). Nous avons une avance indiscutable en matière de progrès social et constituons sans doute le pôle attractif et le pivot de toute unification ». la réponse des frères de l’outre-Moungo sera tout aussi claire « Dès lors, à moins que les leaders et les intellectuels du Cameroun oriental (francophone) de qui relève l’initiative culturelle soient prêts à partager cette autorité avec leurs frères d’Outre-Moungo (anglophones), à moins qu’ils soient prêts à faire l’effort gigantesque nécessaire pour se libérer de la camisole de force des préjugés français, à moins qu’ils fassent preuve de probité intellectuelle pour admettre l’existence dans le système anglo-saxon d’éléments salutaires à ce pays, il y a peu de chance que survive l’influence anglaise, pas plus du reste que les valeurs africaines, dans la République du Cameroun »[14].Ceci nous permet de comprendre les crises que peuvent connaître les sociétés bilingues surtout celles où l’une des communautés est minoritaire.  Or, pour qu’il y ait parfait bilinguisme, il est nécessaire que les deux langues aient une égale considération. De même, selon une théorie ethnolinguistique sur la dynamique de l’Etat bilingue, Plus la différence en nombre est grande entre les deux communautés appelées à vivre ensemble, plus le pourcentage de bilingues dans la communauté minoritaire est élevé, si toutefois d’autres facteurs n’interviennent pas[15]

Au Canada, le constat révèle que la communauté majoritaire fourni le moins d’effort possible pour apprendre l’autre langue. Par conséquent, le taux de bilinguisme est le plus élevé chez les minorités linguistiques selon que l’on se trouve dans une province à majorité francophone ou anglophone. En 2012, un rapport linguistique fournit par statistique Canada issu du recensement de 2011 sur la capacité de soutenir une conversation français-anglais depuis 1901 date à laquelle il avait été demandé pour la première fois  aux canadiens de dire dans quelle langue ils pouvaient s’exprimer, a permis de constater que sur les  5,8 millions de bilingues que comptait le Canada en 2011 (soit un taux de 17,5%), la majorité se retrouvait au Québec (43%) et au Nouveau-Brunswick (33%) les autres provinces affichant un taux de 7%. Au Québec, le nombre de personnes capables de parler les deux langues était de 3,3 millions (représentant 57 % de la population bilingue du pays), alors qu’il était de près de 1,4 million en Ontario (24 % de la population bilingue). Si l’on ajoute à cela les 246 000 personnes bilingues au Nouveau-Brunswick, cela représente 86 % de la population bilingue du pays qui se trouvait dans l’une de ces trois provinces en 2011. Dans l’ensemble du Canada, les francophones représentaient un taux de 44% en 2011 contre 8% pour les anglophones. Parmi les minorités de langue officielle, les anglophones du Québec affichaient un taux de bilinguisme de 61 % (comparativement à 6 % chez les anglophones dans le reste du Canada), alors que les francophones en dehors du Québec avaient un taux de bilinguisme de 87 % (comparativement à 38 % chez les francophones du Québec)[16].

Au Cameroun, l’absence de données statistique ne permet ni d’affirmer ni d’infirmer ce constat. Toutefois, l’on peut constater sur le plan éducatif, une course de plus en plus forte des « francophones » vers des « écoles anglophones » ou l’effort des « anglophones » à parler le français  même si un certain déséquilibre peut être relevé. La crise dite « anglophone » que connaît le Cameroun actuellement pourrait être le résultat de ce déséquilibre qui existe entre les deux communautés où d’aucuns vont jusqu’à souhaiter le fédéralisme en créant un cloisonnement étanche entre anglophone et francophone. Cependant à la différence du Canada où le bilinguisme relève des langues maternelles de chaque communauté et qui peut sans doute justifier le caractère farouche de l’opposition qui peut souvent s’observer dans la pratique du bilinguisme, au Cameroun, il s’agit d’un héritage de la double colonisation franco-britannique qu’a connu le pays. Il s’agit donc de langues étrangères qui sont venues se superposées aux langues nationales et qui ont servi de moyen de cohésion et de communication entre les différents peuples.Une crise comme celle qui sévit dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays n’est pas une crise de langues maternelles qui risqueraient de disparaître mais une crise de langues étrangères où les peuples se sont identifiés à celles-ci et les ont adopté comme faisant partie de leur patrimoine culturelle. Peut-on affirmer que le bilinguisme soit un danger comme l’on souligné certains auteurs ? La promotion d’un système éducatif bilingue est-il réellement nocif sur le plan cognitif ? Si tel n’est pas le cas quel peut être la valeur du bilinguisme?

 

Dans un monde de plus en plus interconnecté, de  délitement des frontières, un monde où l’on n’a plus besoin de se déplacer pour connaître ce qui se passe à l’autre bout de la planète où les offres en termes d’emploi et d’opportunités dépassent le cadre des frontières nationales, il apparaît aujourd’hui important voire nécessaire d’apprendre une autre langue. Certes dira t-on à quoi sert-il d’être bilingue quant il suffit aujourd’hui d’aller sur le moteur de recherche Google traduction  pour voir son texte être traduit. Une telle approche serait limiter le bilinguisme à un simple moyen de communication, ce qui serait une approche partielle et partiale de la réalité encore que, sans préjudice au géant Google qui apporte beaucoup à l’humanité,  la scientificité de la traduction googlelienne peut être remise en cause.   

Contrairement aux thèses développées par certains auteurs sur les effets néfastes du bilinguisme notamment sur le développement cognitif dont l’une des plus importantes est celles de John McNAMARA (1966), plusieurs études scientifiques ont démontrées le bien fondé du bilinguisme notamment sur le cerveau et sur la santé[17].Une personne bilingue a plus d’avantages intellectuels, plus de souplesse mentale ou encore plus de créativité qu’une personne unilingue. Sans trop nous attarder sur les effets cliniques du bilinguisme sur l’homme, nous nous attarderons plus sur les possibilités d’ouvertures que la mise sur pied d’un système éducatif bilingue peut apporter à l’Etat et aux populations.

 

I /     Les possibilités d’ouverture pour l’Etat 

 

A l’ère de la mondialisation, le bilinguisme apparaît comme un atout majeur pour tout Etat qui souhaite avoir une meilleur visibilité sur la scène internationale. Plusieurs recherches scientifiques encouragent d’ailleurs les Etats à mettre sur pied un système éducatif bilingue et à encourager un bilinguisme précoce. En effet, plus l’enfant apprend rapidement une langue plus il est apte à résoudre des problèmes complexes du fait de son biculturalisme. Le bilinguisme institutionnel est aussi facteur d’intégration mais aussi de développement économique.

 

1)     Un vecteur d’insertion dans la mondialisation et d’intégration

Amin MAALOUF (prix Goncourt, Académie Française)  affirme que« Le bilinguisme est une école de tolérance et une voie de survie. Il revêt l'importance des démarches fondatrices. Au delà du sens de la relativité des choses qui dégage les horizons et favorise tous les apprentissages, il permet d'acquérir ce qu'il faudra bien appeler un jour par son nom: un sens civique planétaire ». Le bilinguisme permet de rapprocher les peuples autrefois séparés par les barrières linguistiques, de mieux se comprendre pour résoudre les problèmes communs. Un pays qui opte ainsi pour le bilinguisme à une meilleure visibilité sur la scène internationale et peut mieux se vendre en atteignant des couches de la population que la barrière linguistique ne permettait pas d’atteindre. L’exemple de la Chine est à plusieurs égards illustratifs avec le développement de la télévision centrale Chinoise en plusieurs langues notamment le français et l’anglais qui a permis de mieux faire connaître sa culture et sa politique à l’ensemble de la planète. Cette technique est de plus en plus utilisée par les chaines de télévision nationales publiques et privées.  L’intégration est le plus souvent abordée en terme politique et économique avec la suppression des obstacles tarifaires et non tarifaires aux échanges pour favoriser le développement économique. La langue est aussi un moyen de favoriser l’intégration des Etats et même des peuples. En effet, le fait de partager la même langue ou d’avoir une langue de communication facilite tout aussi bien l’intégration. Le cas de la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) en est un exemple. Dans cette zone les Etats membres ont opté pour le bilinguisme français-anglais. Ainsi, en Tanzanie depuis l’entrée en vigueur de la communauté en 2008, le français a été mis au programme depuis l’école primaire. Au Burundi autre pays membres de la communauté c’est l’anglais qui est enseigné depuis la première année primaire. Cette entreprise aura comme impact de faciliter les échanges commerciaux intra-communautaires, de faciliter la communication des agents aux frontières qui ne parlent pas tous la même langue.

Au Cameroun, le bilinguisme nait avec l’avènement de  l’Etat fédéral le 01 Octobre 1961 lorsque l’ancien Cameroun occidental ou Cameroun britannique décide de rejoindre le Cameroun oriental ou Cameroun français. Dès lors l’anglais et le français seront consacrés comme langues officielles d’égale valeur comme mentionné à l’article 1 de la constitution du 18 Janvier 1996. La consécration de ces deux langues comme officielles va de la volonté de l’Etat d’affirmer son indépendance mais aussi un choix stratégique de politique étrangère. En effet, lors d’un séjour en Allemagne, le Président Paul BIYA affirmait que le Cameroun ne sera pas la chasse gardée d’une puissance étrangère quelconque. L’on comprend donc que l’adoption de l’anglais et du français permettait au Cameroun de gérer les équilibres entre Cameroun francophone et anglophone en évitant d’adhérer à l’une ou l’autre des organisations de promotion culturelle de ces deux  langues qui aurait pu remettre en cause l’unité si chère à la jeune nation. Par ailleurs après avoir refusé d’adhérer au Commonwealth et à la Francophonie sous le Président Amadou AHIDJO conformément à sa politique de non-alignement, il finira par y adhérer sous le Président Paul BIYA après que ce dernier ait redéfinit le non alignement en ces termes« Le non alignement ne signifiant ni le rejet de tout partenaire, ni le rejet de toute alliance écrit-il, le Cameroun continuera à militer activement au sein du mouvement des pays non alignés. En effet, le véritable non alignement consiste à sauvegarder en permanence la possibilité et la liberté de négocier de nouvelles alliances ou de dénoncer les anciennes. C’est dans cet esprit que notre pays devra rechercher une coopération économique et culturelle sans exclusive mais équitable tout en faisant ce qui est en son pouvoir pour consolider le front uni du tiers-monde ». L’intégration du Cameroun à ces deux organisations a permis à celui-ci de se rapprocher d’autres nations ayant en partage ces langues et de bénéficier des avantages liés à celles-ci. Cette orientation gouvernementale est à l’origine de la multiplication des établissements bilingues que ce soit dans le secteur public ou privé, la création des centres de formations bilingues pour adultes ou encore des chaines de télévision bilingue. L’objectif est de favoriser un bilinguisme individuel grâce auquel chaque enfant suivant un cycle d’étude dans le système éducatif camerounais, soit capable de parler parfaitement anglais et français.

 

2)     Une source de développement économique

Le bilinguisme favorise aussi le développement économique notamment en termes d’emploi et d’attraction des investissements directs étrangers. En effet, les Etats bilingues n’hésitent pas à brandir cela comme un atout par rapport aux Etats unilingues. Lors de son discours à la nation le 10 Février 2017 en prélude à la  51e édition de la fête de la jeunesse, le président de la République, Paul Biya s’est fait le devoir d’appeler celle-ci à capitaliser l’avantage inestimable que constitue, pour notre pays, son bilinguisme français-anglais en des termes on ne peut plus clairs : « Notre bilinguisme est, dans le monde du 21e siècle, un atout majeur dont nous devons tirer le plus grand parti ». Dans un article intitulé "Les atouts et avantages du bilinguisme à Moncton : entre discours et réalité." Minorités linguistiques et société 4 (2014): 154–174, où il essaie de savoir dans quel mesure le bilinguisme des francophones de Moncton  constitue dans les faits un réel avantage sur le marché du travail, Matthieu BLANC en arrive à la conclusion que « eu égard aux écarts salariaux précités, les francophones bilingues ont une nette longueur d’avance sur les francophones unilingues, dont le revenu personnel est, comme nous l’avons montré, sensiblement inférieur à celui des francophones bilingues. Quant à l’accès à l’emploi, il est également possible de conclure qu’un francophone unilingue aura, à Moncton, plus de difficulté à trouver du travail qu’un francophone bilingue. Dans les deux milieux de travail examinés, il est clair que le bilinguisme facilite l’accès à l’emploi ». Cependant, il précise que cet avantage des bilingues sur les unilingues ne se trouve qu’au niveau de l’accès à l’emploi car dans le service, l’anglais est prédominant le français n’étant utilisé que pour la communication avec les partenaires francophones. Selon une étude du ConferenceBoard du Canada sur « le Canada, le bilinguisme et le commerce », il a été relevé qu’en utilisant deux techniques de calcul distinctes, notamment les quotients de localisation et les équations de gravité, la recherche a permis de se rendre compte que la connaissance du français a permis d’accroître les échanges commerciaux entre les provinces du Nouveau-Brunswick et du Québec et les pays francophones. Les échanges commerciaux du Canada bilingue sont supérieurs de 65% et même plus aux échanges commerciaux avec les pays non francophones. Comme qui dirait, le bilinguisme s’avère être une véritable manne du ciel. Selon Mario LEFEBVRE directeur du Centre des études municipales pour Le ConferenceBoard du Canada, « L’un des avantages du bilinguisme vient du fait que le pays augmente le volume de ses échanges commerciaux bilatéraux… Jouant un rôle central dans les relations commerciales, la présence d’une langue commune, ajoute-t-il, permet à un pays de multiplier le nombre de ses partenaires commerciaux potentiels.» La maitrise d’une seconde langue a permis au Canada de diversifier ses partenaires économiques. Entre 1992 et 2011, les échanges commerciaux avec les pays francophones se sont accrus pour atteindre 7,1 % par année ce qui est supérieur aux échanges globaux du Canada avec le reste du monde qui se situe à 6,8% à la même période[18]. Ces résultats ont poussé le gouvernement fédéral à revoir sa politique éducative sur le bilinguisme. Ainsi, la nouvelle feuille de route pour les langues officielles du Canada 2013-2018, le gouvernement du Canada a reconnu, grâce à ses investissements dans l’éducation, l’immigration et les communautés, l'importance de renforcer la vitalité économique des communautés de langue officielle en situation minoritaire, leur participation aux marchés du travail et l'importance de l'anglais et du français dans l'identité nationale canadienne, sa croissance et sa prospérité.

    

Au regard de l’exemple canadien, le Cameroun gagnerait donc à encourager et à renforcer son bilinguisme. Il s’agit là d’une importante source de développement économique tant au niveau des échanges économiques que de la création d’emploi. En effet, les personnes bilingues sont aujourd’hui de plus en plus sollicitées en matière de main d’œuvre. Perdre un tel atout serait une perte énorme en termes de richesses culturelle et économique. Il est donc impérieux qu’une crise comme celle du Nord ouest et du Sud ouest trouve une solution pacifique et que l’on s’identifie d’abord en tant que camerounais et non en tant que francophone ou anglophone. Cela importe d’autant plus que l’anglais et le français sont des langues officielles de 83% des pays africains ce qui représente un avantage comparatif considérable en termes d’échanges et d’investissement. La mise sur pied d’une zone économique intégrée dans l’espace sous régionale CEMAC où la langue dominante est le français et Cameroun faisant office de leader est une raison supplémentaire pour les anglophones d’apprendre le français et de profiter des avantages d’une telle zone.

 

II) L’ouverture pour les populations

 

Les recherches sur le bilinguisme ont permis de constater que les personnes bilingues présentaient de nombreux avantages sur les personnes monolingues notamment en matière de créativité, de résolution des problèmes et d’insertion socioprofessionnelle. Une étude réalisée par Ellen BIALYSTOK (Université de York à Toronto) en 1999 sur les avantages du bilinguisme a permis de constater que les enfants bilingues avaient plus de capacité d’adaptation que leurs homologues monolingues. Sur étude réalisée sur des enfants de 4-5ans bilingues et monolingues, il avait été demandé à ces enfants de  classer des cartes sur lesquelles figuraient des cercles ou des carrés, rouges ou bleus, par forme puis par couleur. Les résultats ont montré que les enfants bilingues ont mieux réussi ces deux tâches que les enfants monolingues. Ces derniers, perturbés par le changement de consigne (classement par forme puis par couleur), ont moins su s’adapter. Cette facilité d’adaptation s’avère un atout majeur dans un monde en constante mutation où les capacités d’analyse sont de plus en plus sollicitées pour résoudre des problèmes de plus en plus complexes. Aussi, comme nous l’avons vu dans le cas des bilingues francophones de Moncton, il y a plus de chance pour une personne bilingue de trouver un emploi que pour une personne unilingue même si la langue de travail demeure l’anglais et la langue de service le français.

Le taux de bilinguisme au Cameroun est encore très faible malgré les efforts fournis par le gouvernement. Depuis 1989, le programme de formation linguistique bilingue (PFLB) a formé des milliers de citoyens bilingues et d’autres centres de formation privé ont vu le jour (Sa’ah François GUIMATSIA). Cependant, cela n’a pas suffit à relever ce taux qui tourne autour de 11,5% (proportion de la population sachant parler à la fois l’anglais et le français au sein de la population de 15 ans et plus). Ce taux est de 14,3% chez la couche masculine et 8,9% pour la couche féminine (source BUCREP, 2017). Sur 100 personnes, 30 sont analphabètes en langues officielles ; 13 savent lire et écrire uniquement l’anglais ; 45 savent lire et écrire le français ; 12 savent lire et écrire le français et l’anglais (BUCREP,2017). Ces faibles résultats obtenus après plus de cinquante ans de promotion du bilinguisme se justifient par les politiques mises sur pied durant la période coloniale et post coloniale ayant entrainé des déséquilibres sur le développement des régions (EKOMO ENGOLO, 2001). En effet, durant la période coloniale, les colons français et anglais avaient développé le concept de zone utile du colonialisme (Martin, 1977) en s’appuyant sur rationalité économique pour maximiser les intérêts et minimiser les couts car la colonie ne devait pas couter cher à la métropole. Aussi, le développement sera concentré sur les zones regorgeant de ressources naturelles exploitables par la métropole. Les zones utiles (régions côtières, les régions riches en ressources végétales (bois, plantations de type capitaliste) ou minières (pétrole, or, diamant, etc.) seront favorisées aux zones moins utiles (les régions pauvres, désertiques ou enclavées, ne présentant aucun intérêt stratégique). Aussi, la France mettra plus l’accent sur les régions Centre-Sud et Littoral ce qui aura pour effet de favoriser l’éducation sociale des populations de cette zone qui seront plus alphabétisées que celles du reste du pays francophone notamment celles du Nord. Quant aux britanniques outre le fait qu’ils aient administré cette partie du territoire comme faisant partie du Nigéria voisin ce qui vaudra le nom « colonie de la colonie » à cette partie du pays, vont plus se concentrer sur le Sud ouest du fait de sa proximité avec l’océan et  des ressources pétrolières marginalisant ainsi le Nord-ouest. Ce déséquilibre se fera nettement ressentir au niveau du niveau de scolarisation. A l’accession du Cameroun à l’indépendance, l’Etat va récupérer ce concept de zone utile tout en essayant de niveler les inégalités sociales intra régionales en adoptant une politique d’équilibre régional qui n’a pas porté les effets escomptés.

Toutefois les mutations de la scène internationale ont amené les populations à prendre conscience des enjeux du bilinguisme aujourd’hui. Plusieurs camerounais se forment au bilinguisme aujourd’hui et plusieurs raisons expliquent cela. Une enquête réalisée entre 2005 et 2010 a permis de constater que l’une des motivations qui justifient la propension des camerounais au bilinguisme est la recherche d’emploi. Ces derniers espèrent émigrer vers l’Europe et les Etats-Unis. Les cadres et les employés trouvent en cela un moyen de conserver leurs postes ou de promotion, pour les opérateurs économiques il s’agit d’un moyen de pouvoir communiquer avec des partenaires internationaux sans l’aide d’interprètes qui couteraient plus cher et qui risqueraient aussi de briser la confidentialité de certains dossiers. La promotion du bilinguisme a par ailleurs permis à certains étudiants camerounais de bénéficier des bourses du Commonwealth. L’ambassade des Etats-Unis a notamment félicité le gouvernement camerounais pour ses énormes efforts visant à faire de l’enseignement de l’anglais une priorité.

 

 

 

 

 

 

 

 

En  nous accordant avec le linguiste Robert Malcom sur le fait que « Chaque langue enferme la vision du monde de ses locuteurs: ce qu’ils pensent, ce qu’ils valorisent, ce qu’ils croient, comment ils classent le monde qui les entoure, comment ils organisent leurs vies », le fait d’en avoir deux dans un même pays est un atout majeur.  Profiter de cet atout,  nécessite que les deux langues aient la même valeur à l’effet de favoriser la cohésion sociale et la régulation sociale. Le Cameroun en ayant opté pour le bilinguisme en 1961, a fait le choix de profiter au maximum des avantages comparatifs par rapport aux nations monolingues. Cependant comme toutes les nations bilingues à l’exemple du Canada ou la Belgique pour ne citer que ces deux là, le Cameroun connaît une crise propre à ce type d’entreprise. Les revendications de la partie anglophone du pays ne sont que reflet des sociétés où règne la diglossie mais il est impérieux de trouver des solutions qui permettent d’intégrer les attentes des deux parties sans perdre un tel atout qui fait la richesse et la beauté de notre pays. La Psycholinguiste Elisabeth Bauthier-Castain affirme que « Quand tout se passe bien, le bilinguisme est incontestablement un plus pour le développement intellectuel… » Nous dirons qu’il est un plus  pour le développement en général. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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[1]Nouveau testament, Jacques 3.5-6

[2]Célèbre linguiste russo-américain, distingue six éléments ou facteurs de la communication nécessaire pour qu’il y ait communication :un contexte ; (2) un destinateur (un émetteur, un énonciateur) ; (3) un destinataire (un récepteur, un énonciataire) ; (4) un contact entre destinateur et destinataire ; (5) un code commun ; (6) un message. Roman Jakobson, Essais de linguistique générale, Paris, Minuit, 1963

[3]Michel Serres, Philosophe, « Atlas », Flammarion, Paris, 1996

[4]Blandine Bruyère et Louisa Moussaoui,De la fonction et de l’usage de la langue, Ecarts d'identité N°113 / 2008

[5]Différents groupes ethniques du Cameroun.

[6]AAVV, (1928), Le bilinguisme et l’éducation. Travaux de la conférence

internationale sur le bilinguisme tenue à Luxembourg en 1928, Genève, Rapports du Bureau international d’éducation.

 

[7]Rainier GRUTMAN, Bilinguisme et diglossie : Comment penser la différence linguistique dans les littératures Francophones ?, 2003, p. 1-14

 

[8]Jean-Guy MBOUDJEKE, « Bilinguisme, politiques et attitudes linguistiques au Cameroun et au canada », revue électronique internationale de sciences du langage Sudlangues n° 6, 2006. Voir aussi Matthieu LeBlanc,  "les atouts et avantages du bilinguisme à Moncton : entre discours et réalité." minorités linguistiques et société 4 (2014): 154–174

 

[9] RainierGRUTMAN, op.cit. p. 2

[10]RainierGRUTMAN, Ibid.

[11] CamilleEKOMO ENGOLO, « analyse sociologique du bilinguisme d'enseignement au Cameroun », éducation et sociétés, 2/2001 (no 8), p. 135-161

 

[12]Camille EKOMO E. op.cit.

[13]A.EYINGA, Introduction à la politique camerounaise, Paris, l’Harmattan, 1984, 378p

 

[14]FONLON B. “Will wemake or mar” [Construire ou détruire ?], Abbia, n5, ­1965, p45-46

[15]MACKEY W. F. 1979 Bilinguisme et contact des langues, Paris, Klincksieck, Paris, 534p

[16]Lepage, J.-F. et J.-P. Corbeil. L’évolution du bilinguisme français–anglais au Canada de 1961 à 2011. Regards sur la société canadienne. Produit no  75-006-X au catalogue de Statistique Canada, 2013

 

[17]Voir à ce sujet Maria Kihlstedt, Les avantages du bilinguisme précoce ; Josiane Hamers (Université Laval à Québec) et Michel Blanc (Université de Londres) et  Ellen Bialystok (Université York à Toronto).

[18]La connaissance du français au ­Québec et au Nouveau-Brunswick a permis d’accroître les échanges ­commerciaux avec les pays francophones de 8,9 milliards $ US en 2011 (les exportations ont totalisé 1,7 milliard $ US et les importations 7,2 milliards $). Grâce à la connaissance du français, les volumes moyens des échanges commerciaux (moyennes des exportations et des ­importations) ont été plus élevés de 3,5 milliards $ US.

 

 


07/04/2017
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